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La Cenco contre le rétablissement de la peine de mort en RDC

Paul Lorgerie
27 mars 2024

Interview avec Donatien Nshole, secrétaire général de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco).

https://p.dw.com/p/4e9r5

Le 13 mars dernier, la République démocratique du Congo a levé le moratoire sur l’exécution de la peine de mort en place dont l’application avait été suspendue en 2003.
 
"Consternés". C’est en ces termes que les évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) ont réagi à la levée de ce moratoire sur l’exécution de la peine de mort, dans un communiqué du 22 mars.  

Le décret, adopté afin de "débarrasser l’armée [du] pays des traîtres (…) et d’endiguer la recrudescence d’actes de terrorisme et de banditisme urbain", a été qualifié de "mépris total pour les droits humains" par l’ONG Amnesty International.

Les évêques congolais considèrent de leur côté que la levée de ce moratoire est en inadéquation avec l’Evangile.  

Msgr. Donatien Nshole est le Secrétaire général de la Cenco. Pour la Deutsche Welle, il revient sur cette décision polémique.

Ecoutez ci-dessus l'entretien avec Msgr. Donation Nshole

Il y a peu de temps, le gouvernement congolais a levé le moratoire sur la peine de mort. Qu’en pensez-vous ? 

 C’est une désolation. Nous étions convaincus que ce moratoire allait évoluer dans le sens de l’abolition de la peine de mort. Mais il s’agit en réalité d’une surprise désagréable. Pour la simple raison qu’en tant qu’Eglise, qu’en tant que chrétiens, qu’en tant que pasteurs, nous tenons à la protection de la vie qui est sacrée, précieuse, inviolable. 


Pour autant, la société congolaise semble être en accord avec cette décision.

Je crois que notre rôle est d’évangéliser et la politique fait partie de cette évangélisation. On touche ici le cœur de la parole de Dieu qui dit dans l’une de ses lois de ne pas tuer.  

Je pense que ce sont des gens qui réagissent selon leurs émotions. Mais il faut plutôt regarder le problème tel qu’il est posé dans le décret du ministre. Tout ce qui y est dit est réel : la traitrise, l’espionnage, les bandits qui tuent librement, tout cela représente des menaces pour la nation et nous sommes d’accord avec le gouvernement, il ne faut pas exposer les Congolais à ce genre de dangers. 

Mais est-ce que la peine de mort est la solution qui convient ? Certainement que non. 

Pourquoi la peine de mort est-elle encore légale ?

Pour moi, il s’agit d’une fuite de responsabilité du gouvernement. Car c’est à lui de mettre tous les mécanismes en place.  

Les policiers qui arrêtent régulièrement les bandits qui tuent à gauche à droite, les kulunas, ces policiers ne cessent de se plaindre. On arrête un criminel, on le met en prison et un ou deux mois après, on le retrouve dans la rue. Pire, il y a des cas où certains quittent la prison pour opérer et ensuite retourner à la prison le soir. 

Donc il faut s’attaquer à cela plutôt que de chercher à tuer des gens. 

 Regardez l’environnement de notre justice. Nous sommes habitués aux montages de dossiers lorsqu’on veut éliminer un opposant politique. On trouve toutes les raisons pour l’accuser de traîtrise. Et avec la corruption de la justice par nos politiques, on risque de couper la tête d’innocents. 

 

Donc selon vous, il s’agit d’une porte ouverte pour faire taire l’opposition politique également ?  

Exactement. Mais c’est aussi une façon officielle de banaliser la vie humaine. 
On voit, dans la rue, comment on tue des gens.
Pas plus tard qu’hier, j’ai vu sur les réseaux sociaux que des gens ont voulu enterrer vivant une personne accusée d’avoir ensorcelé des gens. Le retour à la peine de mort, c’est une façon d’encourager une telle pratique. 

 

Ne pensez-vous pas que, justement, cela va dans le sens des "Wazalendo" (les Patriotes qui combattent aux côtés de l’armée congolaise – NDLR), qui peuvent défendre leur patrie arme en main, alors qu’il s’agit du rôle des forces de sécurité ? 

Je ne maitrise pas trop la problématique des Wazalendo, dans la mesure où je doute qu’ils soient intégrés dans l’armée. Si ce n’est pas le cas, c’est un problème. 
Nous avons tous le devoir de protéger la nation. Mais armer les gens qui ne sont pas dans l’armée, quand bien même ils sont de bonne volonté, alors qu’adviendra-t-il d’eux après la crise s’ils ne sont pas bien encadrés ? 
Il serait donc sage d’intégrer officiellement tous ces Wazalendos pour que l’armée devienne leur profession, autrement, il s’agit de bandits en puissance. 

 Mais vu l’urgence de la situation, face à une armée désorganisée et corrompue, quelle solution prônez-vous ? 

Les troubles liés au M23 ne sont pas nouveaux. En septembre 2011 déjà, j’avais accompagné une délégation de cinq évêques à Rutshuru pour rencontrer Laurent Nkunda. 

C’était en pleine guerre avec les FARDC. Ces derniers contrôlaient jusqu’à Kibumba, puis il y avait une zone tampon de cinq kilomètres que nous avions traversé. Nous voulions persuader nos frères du M23 de renoncer aux armes, de ne pas tuer les gens. Donc il y a un travail de diplomatie. 

Mais l’armée a aussi son rôle dans tout cela. 

La Cenco a déjà conseillé au gouvernement de réduire le train de vie de l’Etat pour avoir plus de moyens pour renforcer notre armée.
Mais il y a aussi un besoin de renforcer la cohésion nationale. Voilà pourquoi, nous avons recommandé l’organisation d’une concertation nationale autour de cette crise au-delà des affinités politiques car la question ne concerne pas uniquement les gens au pouvoir. D’ailleurs, notre diplomatie en sortira renforcée en étant appuyée par une dynamique nationale composée de toutes les forces vives de la nation. 
 

Et que fait justement l’Eglise aujourd’hui ? Vous appuyez vous sur vos relais locaux pour dissuader les acteurs ? 

Etant donné qu’il s’agit d’une crise sous régionale, l’Eglise travaille à la fois avec les conférences des évêques du Rwanda, du Burundi et de la RDC. 
A la fin du mois de janvier, je représentais la Cenco au Rwanda, à Ruhengeri, où l’on a principalement parlé de la paix. 
Comme Eglise, nous sommes d’abord des évangélisateurs, des prédicateurs. Notre arme est la parole. 
Si nous ne sommes pas écoutés, c’est tout de même dommage. 
On voit que, même dans la Bible, Jésus dit à ses disciples que s’ils prêchent et que personne ne les écoute, il faut secouer la poussière du sol car ce n’est pas à nous de prendre les armes pour aller combattre qui que ce soit. 

Mais, au-delà de toutes ces turpitudes politiques, le Rwandais reste un frère pour le Congolais. Ce qui ne veut pas dire que nous tolérons que le Rwanda vienne agresser le Congo. 

 

Et qu’en dit le Saint-Siège ? 

Les derniers échos que j’en ai eus montrent que le pape continue de mettre le peuple congolais dans ses prières. La diplomatie fait son travail dans les canaux silencieux qui lui sont propres et le Saint-Siège n’épargnera aucune énergie pour contribuer à la paix dans la région des Grands lacs.